Récits Coralliens
Après une apnée relative de deux ans, LOYA nous remonte un Corail, son deuxième LP, dispo sur le label Frenchy MAWIMBI. Une éternité bien vite oubliée une fois l’opus en mode play. Avec dix ans d’électro sous les doigts et un retour aux sources gagnant, Sébastien Lejeune, de son vrai nom, affine un son créatif empreint de spiritualité. Une énergie puisée au gré des courants culturels de l’océan Indien dans lequel baigne sa Réunion natale.
Si son premier LP, Éruption, faisait office d’intro à sa vision d’un maloya boosté aux ondes synthétisées et autres boîtes à rythmes syncopés, Indian Ocean rendait plutôt hommage à ses origines tamoules et à la musique carnatique (voir la série Rootronica sur ARTE). De sa maîtrise des appareils et des traditions, ressort un rendu mystique. Et c’est probablement ce qui distingue cet artiste dans la mouvance afro-électro en Occident. Là où nombre d’artistes se contentent d’exploiter à tout va des sonorités africaines du moment, le réunionnais, lui, part de son vécu. Son nouvel LP est une autre occasion d’apprécier son talent.
Au coeur d’un Corail poli en dix morceaux, LOYA enchante ce voyage électro-initiatique à la (re)découverte d’autres récifs (récits) musicaux. Pour ce faire, il en appelle à des légendes locales comme Menwar (Île Maurice), pionnier du sega tipik, et l’accordéoniste Regis Gizavo (Madagascar) disparu en juillet dernier. Deux invités qui s’incrustent sur un LP qui se confirme musicalement polissé et abouti. Par ailleurs, il questionne sur l’appartenance à un lieu, à une culture ou encore le déracinement. La qualité musicale est à la hauteur de ces questionnements.
On se pose un moment sur le titre Amba qui confond et désoriente l’auditeur. Une dédicace de l’artiste à l’histoire du peuple chagossien, tout aussi désorienté par son expropriation arbitraire fin des années 60-début 70 par l’ Empire britannique. À l’époque, l’archipel de Chagos, sous administration territoriale de l’Île Maurice, fut vidé manu militari de sa population par les anglais au profit des américains qui en bénéficieront gratos. Une gratuité qui couvrait l’effacement d’une dette de $14 millions contractée par les anglais auprès des américains. Le R-U et les USA s’accordèrent tacitement et déclarèrent l’archipel inhabité pour mieux se l’accaparer, forçant les chagossiens à un exile funeste. L’objectif étant pour les américains d’y construire une base arrière entre l’Asie et le Moyen-Orient. Un enjeu stratégique dans un contexte de guerre froide. La base a dernièrement été utilisée lors de guerres en Iraq (1991 et 2001) et en Afghanistan (2003).
Aujourd’hui encore, marqués par une profonde tristesse (mortelle dans certains cas !), les chagossiens luttent encore pour le droit au retour vers leur terre d’origine et auquel le gouvernement Britannique reste sourd. Pire encore, l’accord américano-britannique a été prolongé automatiquement de 50 ans en 2016. Une belle marque de respect des droits de l’homme de l’ancien Empire qui en 2013 a été jugé coupable d’infraction des lois internationales par la *Cour internationale de justice de La Haye.
Mais revenons à la musique, je sens qu’on vous perd. Donc, dix sons bien briqués à l’électro-maloya dont ressort le thème central de la maison ( Home Pt 1, Desert, Amba et Home, Pt 2 ). Il s’inspire également de hauts dignitaires Malgache et Mauricien pour relever un tout musical bien assimilé. Corail vient donc conforter le parcours d’un artiste à la créativité aussi sensible que survoltée. Ajoutez à cela une conscience d’un patrimoine culturel réapproprié en mode électro et vous avez un artiste sensible, dense et de son temps.
Avec son dernier projet déjà couronné « album du mois » par le magazine français Trax (octobre), LOYA démontre qu’il est un musicien à suivre dans l’électro. Un plébiscite qui reconnait un vrai travail de recherche et un engagement personnel. Corail est un précieux qui vous laissera dans une transe cathartique, après avoir été transi(e) par les témoignages des chagossiens.
*Pour plus de détails sur la dispute autour de l’archipel de Chagos voir sur l’International Forum on Globalization.
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