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    Terrorisme et médias

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    17/07/2015
  • Médias
  • Politique
  • Les liens du sang

    Les attentats de Paris, le 7 janvier dernier, ont été parmi les plus graves de l’histoire récente de France. Ils ont suscité une vive émotion et un fort engouement médiatique. Notamment en raison de la mort violente d’une partie de la rédaction du journal Charlie Hebdo. Ce dernier était ciblé par les frères Kouachi pour ses publications du Prophète Mahomet. Les français en ont fait, bon gré malgré, le symbole d’une liberté d’expression lors du rassemblement du 11 janvier qui a réuni des millions de personnes dans la rue. Une liberté d’expression que des médias français ont reprise à leur corps défendant après avoir été critiqués de toute part pour leur couverture controversée des événements.

    Pourtant ce n’est pas la première fois que des médias sont sous le feu de la polémique après des actes terroristes. Il y a des précédents dans l’histoire récente et chaque fois que ces questions ont été posées, elles ont mis en évidence la relation ambiguë qu’entretient le journalisme avec le terrorisme. Un lien symbiotique et complexe qui a évolué au fil des attentats les plus médiatisés. Munich, New York en passant par Madrid, Londres et finalement Paris qui a marqué une nouvelle étape dans cette mutation. On rappellera des faits, en observant le type de terrorisme responsable et les aspects médiatiques tant du point de vue de l’innovation technique que de l’interprétation journalistique des événements.

    Les attentats de Munich : les loups dans la bergerie

    L’un des premiers attentats médiatisés du XXème siècle a été celui des Jeux olympiques de Munich en 1972. Au dixième jour de compétition, un groupe terroriste palestinien, Septembre noir, prend en otage onze athlètes israéliens. En échange de leur libération, la bande armée exige la remise en liberté de 243 prisonniers palestiniens détenus par le gouvernement israélien. Le Premier Ministre de l’époque, Golda Meir, refuse toute négociation. Accepter les revendications de terroristes ouvrirait les portes à d’autres prises d’otages contre des juifs dans le monde. Finalement, la captivité des athlètes aboutira à l’intervention désastreuse de la police allemande, peu préparée, sur le tarmac de l’aéroport militaire munichois et fera dix-sept morts.

    Cet acte terroriste sera le premier d’un genre nouveau pour deux raisons. D’abord, la prise d’otage par Septembre noir, groupe politique radical palestinien, sera la première action d’une aussi grande envergure et d’origine moyen-orientale. D’autre part, en choisissant les JO, les malfaiteurs feront exister les palestiniens et leurs réalités du conflit israélo-palestinien aux yeux du monde. Plus de 800 millions de téléspectateurs en seront témoins. Par là même, ils auront fait du terrorisme un moyen redoutablement efficace de transmettre un message politique fort. Ce conflit clive encore aujourd’hui la Communauté internationale. Septembre noir aura convertit le terrorisme en une véritable arme de communication et de transmission de revendications politiques.

    L’autre aspect important de ces événements est leur impact médiatique global dû à la présence des télévisions du monde entier présentes pour couvrir les olympiades munichoises. Des journalistes de tous les continents passeront d’une compétition sportive pacifique à un drame humain lorsque le comité olympique annonce la prise d’otages. Les médias présents se détournent alors des pistes pour se plonger dans le drame qui se joue dans le village olympique. Les caméras investissent toutes les chambres ayant vue sur celle des athlètes israéliens. Après une première tentative d’intervention des forces spéciales allemandes avortée au dernier moment, on apprendra que la plupart des télévisions retransmettaient en direct l’intervention des forces de police allemandes. Les terroristes avaient ainsi l’occasion d’observer leur déploiement en direct par voie télévisée. Une situation que l’on retrouve dans les attentats de Paris où une caméra de l’AFP filmait le déploiement des forces spéciales peu avant l’assaut de l’Hyper Cacher. Ce n’est donc pas nouveau de voir les médias interférer dans les opérations policières. Munich sera le premier pas vers une nouvelle relation entre terrorisme et médias, la télévision en particulier. Les attentats de Munich ont contribué ainsi à l’expansion du médium télévisuel dans un contexte largement dominé, jusque là, par la presse écrite. La force du direct et d’autres évolutions techniques placeront le petit écran au premier rang des médias quelques années plus tard.

    Les attentats de New York et Washington : la critique en chômage technique

    Par la suite, cette relation atteindra un niveau supérieur après les attaques de New York et Washington, en 2001. Elles seront certainement les plus spectaculaires de par leur envergure et leurs conséquences. Le 11 septembre, les télévisions américaines diffusent progressivement les images d’une des tours du WTC en feu. On pense à un avion de petite taille sans vraiment en être sûr. Très vite, des témoignages précisent qu’il s’agit d’un avion de ligne. De longues minutes s’écoulent avant de voir un deuxième avion foncer sur la deuxième tour. Ce jour là, les États-Unies d’Amérique venaient d’être victimes d’attaques terroristes menées par Al-Qaïda. On apprendra par après que deux autres avions se sont crashés. L’un sur le Pentagone, l’autre en rase campagne, détourné de sa cible par des passagers. On gardera en mémoire l’effondrement des Twin Towers et le trou béant dans le Pentagone causés officiellement par le crash d’un de ces appareils.

    Ces attentats révéleront au monde le groupe terroriste le plus important du début du XXI siècle, Al-Qaïda. Son chef, Oussama Ben Laden, revendiquera ces attaques en invoquant l’insupportable domination de la coalition américano-israélienne. Les attentats révéleront un tout autre terrorisme que celui de Munich présentant un groupe aux ramifications internationales innombrables et difficiles à identifier. On est face à un groupe d’individus qui vivent au sein des sociétés occidentales où ils passent inaperçus. Un groupe de mouvance politique radicale qui a pour objectif de mettre fin à l’hégémonie américaine avec la complicité de ses alliés dont il dénonce les exactions au Moyen-Orient et dans le reste du monde.

    La réponse du gouvernement Bush se fait en trois étapes. D’abord est lancée, le 7 octobre 2001, l’opération Enduring Freedom avec l’invasion de l’Afghanistan. Ensuite, le Congrès américain entérine le PATRIOT Act qui réduit sans le dire les libertés fondamentales. Peu après, vient le montage grossier des fausses preuves d’ « armes de destruction massives » qui permit aux américains de justifier et préparer la guerre en Irak. Finalement, arrivera l’invasion de l’Irak en 2003.

    En 2001, les médias traditionnels entament un processus de numérisation. Celui-ci, en réduisant les étapes de fabrication de l’information, accélère son traitement et entraîne une prolifération des médias d’information comme les chaînes en continue. On voit aussi l’apparition d’éditions spéciales dans les radios et télévisions qui traitent d’événements particuliers dans leur continuité. L’image en direct devient alors omniprésente dans les médias car elle captive les téléspectateurs, surtout lors d’événements importants. D’un autre point de vue, les attentats du 11 septembre montreront le potentiel d’internet même si la télévision domine largement le paysage médiatique devant la radio et la presse écrite. Néanmoins, internet connaîtra un important pic d’utilisation engendré par la demande exceptionnellement élevée du public de nouvelles informations sur les crashs. Il s’en trouvera d’ailleurs saturé. A l’époque, Youtube, Instagram ou autre Twitter n’existent pas encore. De plus, les téléchargements d’images et de vidéos sont très loin d’être aussi performants qu’aujourd’hui.

    Un autre élément qui marquera le 11 septembre 2001 est le passage des médias du rôle d’informateur à celui de spectateur. En effet, lorsque journalistes et présentateurs découvrent les images chocs en direct, ils réagissent aux événements comme la plupart des américains, en victimes. Leurs commentaires laissent transparaître leur désarroi. Des moments d’émotions qui feront vite place à un appui presque unanime des journalistes américains à leur gouvernement dans sa « War on terror » planifiée par l’équipe du président Georges W. Bush. Le peu de gens qui critiqueront la réaction gouvernementale seront considérés comme des traîtres et seront censurés dans la presse. Quelques blogs seulement en parleront. Les journalistes recouvreront leur esprit critique d’une chape de plomb patriotique qui ne souffrira pratiquement aucune remise en question jusqu’à la guerre en Irak. Cet épisode restera l’un des plus gros raté de la presse américaine qui aura mis au premier plan son appartenance américaine devant sa responsabilité d’informer le public. Dans un article publié sur Salon.com (Iraq: Why the Media Failed), le journaliste et co-fondateur du site Gary Kamiya écrira : « Le déchaînement de patriotisme médiatique suite aux attaques montre à quel point la barrière entre le journalisme et la propagande est fragile ». Une autre collègue américaine, Kristina Borjesson, sera une des rares de la profession à enquêter sur ces failles journalistiques. Elle recueillera des interviews d’éminents reporters et en fera un livre : Into the Buzzsaw.

    Par ailleurs, le 11 septembre a été pour les communautés musulmanes le début d’une stigmatisation et d’une hostilité aux États-Unis et ailleurs. Ces circonstances ont été nourries en grande partie par les médias qui selon une étude de Christopher Bail, professeur assistant de sociologie aux universités de Duke et Chapel Hill, présentaient des messages essentiellement émotionnels (colère et peur surtout) sans une véritable analyse de fond. Ce qui a eu pour effet de placer le débat sur le plan de l’émotion et de la confrontation, conduisant à des interprétations de type « choc des civilisations ». De plus l’implication américaine au Proche-Orient et au Moyen-Orient sera très peu abordée dans les médias américains alors qu’elle a été une des justifications d’Oussama Ben Laden et d’Al Qaïda dans les attaques anti-américaines.

    Les attentats de Madrid : sauver la face à tout prix

    Le 11 mars 2004, c’est au tour de Madrid d’être la cible du terrorisme djihadiste. Des attentats où douze sac-à-dos remplis d’explosifs, placés dans des wagons de train, explosent simultanément dans et aux alentours de la gare d’Atocha. On dénombrera 192 morts et plus de 1800 blessés. Cet attentat sera particulier pour deux raisons. D’abord, le groupe terroriste ETA est encore actif en 2004 en Espagne, ce qui conduira la majorité des espagnols à penser au terrorisme basque comme première hypothèse. Ensuite, cette attaque aura lieu trois jours avant les élections générales désignant le président du gouvernement espagnol. Ces deux éléments combinés seront cruciaux dans la « guerre » médiatique qui suivra ces événements.

    En effet, le gouvernement de José María Aznar n’attendra que quelques heures après les attentats pour affirmer l’implication d’ETA. Or Arnaldo Otegi, un proche du groupe basque, avait démenti toute responsabilité du groupe terroriste qui a toujours revendiqué ses actions. Malgré tout, Angel Acebes, Ministre de l’Intérieur de l’époque, fera un communiqué de presse en ce sens, sans même avoir la confirmation des enquêteurs encore en pleine investigation. Plus grave encore, le propre président du gouvernement espagnol appellera personnellement diverses rédactions de presse nationales et des correspondants étrangers pour leur signifier sa certitude de l’implication du groupe indépendantiste dans les événements du 11 mars. Au fil des heures, les enquêteurs découvriront des preuves conduisant à la piste islamiste.

    Les auteurs des attaques ont été identifiés comme faisant partie des Brigades d’Abou Hafs Al-Masri, un mouvement politique radical relié à Al-Qaïda. Elles ont revendiqué les attentats de Madrid et mis en cause l’implication des troupes espagnoles dans la guerre en Irak. Ce groupe a agit dans la continuité du 11 septembre, c’est-à-dire dans son combat contre l’impérialisme américain et celui de ses alliés.

    Les attentats de Madrid n’ont pas vu d’innovation technologique particulière. D’un autre côté, on verra l’ingérence des plus hautes instances du pouvoir dans le traitement médiatique de ces attaques. En effet, le gouvernement de José María Aznar n’attendra que quelques heures après les attentats pour affirmer l’implication d’ETA. Arnaldo Otegi, un proche du groupe basque, démentira pourtant toute responsabilité du groupe indépendantiste dans les événements du 11 mars. D’autant plus que le groupe a toujours revendiqué ses actions. Malgré tout, Angel Acebes, Ministre de l’Intérieur de l’époque, fera un communiqué de presse en ce sens, sans même avoir la confirmation des enquêteurs encore en pleine investigation. Plus grave encore, le propre président du gouvernement espagnol appellera personnellement diverses rédactions de presse nationales et des correspondants étrangers pour leur signifier sa certitude de l’implication du groupe indépendantiste dans les événements du 11 mars. Au fil des heures, les enquêteurs découvriront des preuves conduisant à la piste islamiste. La population percevra l’attentat comme une conséquence de la participation espagnole à la guerre en Irak ordonnée par Aznar et manifestera sa colère dans la rue d’abord, puis dans les urnes. Zapatero sera élu président du gouvernement espagnol.

    Les attentats de Londres : citizen J.

    Le 7 juillet 2005, Londres sera à son tour victime d’attaques terroristes. Au lendemain de la victoire de la capitale anglaise dans la course à l’organisation des JO de 2012, quatre citoyens anglais de confession musulmane se font sauter dans les métro et bus londoniens. Ces attentats suicides feront 52  morts et plus de 700 blessés. Sans compter les dommages matériels et les problèmes de circulation causés par ces explosions.

    Selon un rapport officiel du gouvernement britannique, les attaques du 7 juillet 2005 ont été commises par quatre jeunes adultes (18 à30 ans) dont trois britanniques d’origines pakistanaise et jamaïcaine pour le dernier (Jermaine Lindsay). Pour la plupart, ils sont entrés tardivement dans la religion. Dans une vidéo posthume, le leader du groupe, Mohammad Sidique Khan, avait déclaré vouloir, par cet acte, « venger ses frères musulmans victimes des injustices et de la violence des démocraties occidentales ». Et la Grande Bretagne de Tony Blair à l’époque en faisait partie puisqu’elle était le plus fidèle soutien des États-Unis dans l’invasion de l’Irak. L’implication militaire britannique en Irak aura donc été pour les terroristes une motivation pour commettre ces attaques. On notera également le jeune âge des auteurs, leur parcours social difficile et la composition du groupe dans lequel Jermaine Lindsay dénote par son origine jamaïcaine. Khan dans ces revendications citera Ben Laden, Zawahiri et al-Zarqawi, principaux leaders d’Al Qaïda.

    Une des grandes spécificités de ces attentats londoniens est qu’ils seront en grande partie couverts par des non-professionnels présents sur les différents lieux des explosions. Ils verront naître en Angleterre le « citizen journalism » (journalisme citoyen) où le citoyen-utilisateur génère ses propres contenus via blogs, photos, vidéos, etc. Ce phénomène nouveau sera favorisé par les lieux des explosions rendus inaccessibles aux médias traditionnels. Ces derniers, pour centraliser les informations, publieront donc sur leurs sites internet des appels à témoin susceptibles de rendre compte des événements. Des dizaines de milliers de photos, vidéos et e-mails seront envoyés aux rédactions, nourrissant ainsi les médias et leurs sites d’information. De leur côté, les chaînes de télévision émettront de longues heures sans interruption comme Sky News qui diffusera durant près de 24h sans publicité. Les événements londoniens auront ainsi été en grande partie couverts par des contributeurs anonymes présents sur les différents lieux des explosions. On retiendra également de ces attentats la démocratisation de la technologie de communication (smartphones, etc) qui permettra l’arrivée massive des « citizen journalists » britanniques.

    Du point de vue du traitement de l’information, les médias se focaliseront aussi sur la communauté musulmane en Grande Bretagne. Ce, trop souvent de façon superficielle, hostile et/ou erronée. Le contexte précédent les attentats ne leur était déjà pas favorable, comme l’indique une étude de la sociologue Fauzia Ahmad (University College of London) pour le Journal of Ethnic and Migration Studies sur l’opinion des musulmans concernant la couverture médiatique du 11 septembre. Ce que beaucoup d’entre eux critiqueront, considérant que la presse a exagéré la menace islamiste tout en minimisant l’implication britannique dans la guerre en Irak et l’actualité au Moyen-Orient. Cette stigmatisation et la méconnaissance de l’islam par les journalistes conduiront beaucoup de musulmans à s’isoler du reste de la société britannique et trouver des médias alternatifs sur internet.

    LES ATTENTATS DE PARIS: JE EST UN AUTRE

    L’impact du massacre de Charlie Hebdo et de la prise d’otages à l’Hyper Cacher ont causé un véritable choc parmi les Français et une bonne partie du monde. Un sentiment qui s’est manifesté par un rassemblement de près de quatre millions personnes autour d’un slogan : Je suis Charlie. Mais ce qui a le plus marqué la population française est bien l’exécution sommaire des journalistes de l’hebdomadaire satirique dont faisaient partie les dessinateurs Cabu et Wolinski. Ceux-là, plus que d’autres, étaient connus dans le paysage médiatique français depuis plusieurs décennies, d’où le très vif émoi encore accentué par leur mort violente.

    Il faut rappeler que l’équipe du magazine était menacée de mort par des extrémistes islamistes depuis 2006. Après leur première publication des caricatures du prophète Mahomet en soutien au dessinateur danois, Kurt Westergaard. Charlie avait déjà été victime d’une attaque au cocktail Molotov qui avait incendié ses bureaux. Malgré cela, d’autres dessins du Prophète ont suivi jusqu’au lendemain du 7 janvier. Ces dessins polémiques de Mahomet ont donné à l’hebdo une visibilité internationale de part la colère suscitée dans les communautés musulmanes du monde entier. Ce qui explique en partie la propagation rapide des réactions et mouvements de soutien à une liberté d’expression. Mais on notera aussi l’émergence d’autres mouvements comme Je ne suis pas Charlie et tous ses produits dérivés. Aujourd’hui les « Charlies » ne sont plus aussi nombreux que ce jour de 11 janvier 2015. Ce qui démontre que la plupart des gens ont adhéré au mouvement sous le coup de l’émotion. Finalement, ils n’étaient plus si Charlie que ça une fois l’événement consommé. Et il ne s’agit pas d’une critique mais bien d’un constat.

    Les caractéristiques des attentats de Paris marquent certaines similitudes et différences avec les attaques de la capitale anglaise. Pour commencer, les auteurs étaient nés sur le territoire français dont ils avaient la nationalité tout comme ceux de Londres avaient la britannique. La première différence est que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont ciblé leur attaque alors qu’ à Londres le but était de tuer un maximum de personnes. Les frères ont revendiqué leurs actes en proclamant la vengeance d’Allah. Coulibaly a de son côté parlé de riposte de l’État islamique combattu au moment des faits par les troupes françaises. Ensuite, malgré leurs concertations avant et pendant les attaques, les Kouachi et Coulibaly se sont revendiqués de groupes différents, respectivement AQAP (Al-Qaïda au Yemen) et l’État islamique.

    La couverture de ces événements par certains médias français sera vertement critiquée de part et d’autre pour avoir révélé des informations sensibles. D’abord la justice, par voie du préfet de Paris, qui évoquera la diffusion prématurée des avis de recherche des frères Kouachi, gênant ainsi l’enquête. Ensuite, peu après la libération des otages de l’Hyper Cacher, une proche d’un otage dénoncera en direct BFMTV pour avoir révélé la présence d’un groupe de personnes caché dans une chambre froide du magasin pendant la séquestration. Elles y avaient été enfermées par Lassana Bathily, l’employé aujourd’hui naturalisé français pour son geste. France 2 dévoilera à son tour la présence d’un employé caché dans l’imprimerie de Dammartine où les terroristes s’étaient réfugiés. Le CSA reprendra ces exemples en plus de la mise en danger des forces de l’ordre, la diffusion des images du meurtre du policier à terre et d’autres exemples.

    Parmi ces critiques, voir les médias gêner les forces de l’ordre ou la justice n’est pas nouveau lors d’événements importants. L’implication médiatique avait déjà été mise en cause à Munich en 1972 et ailleurs. Ces critiques soulignent un problème plus complexe et récurrent, à la base même de la relation entre les médias et les terroristes. Les premiers ayant vocation à informer mais aussi à divertir. Les terroristes ont pour objectif d’attirer l’attention médiatique pour faire passer leurs messages et tentent de répondre à ces critères pour arriver à leur fin.

    Sur le plan technologique, les attentats de Paris auront révélé d’une part les réseaux sociaux comme acteurs majeurs lors d’importants faits d’actualité. A tel point qu’ils entreront en compétition directe avec les médias traditionnels qui s’en serviront comme source d’information. On y verra des vidéos et messages postés par des riverains proches de la rédaction de Charlie Hebdo et informant sur les événements quasi en temps réel. La nouvelle se répandra bien plus rapidement que dans les médias traditionnels. D’autre part, le cumul des médias traditionnels et des réseaux sociaux a accéléré considérablement un flux d’information devenu continu et répétitif. Des faits qui auront des conséquences fâcheuses comme la diffusion de l’avis de recherche de Saïd et Chérif Kouachi et du beau-frère de ce dernier par le journaliste Jean-Paul Ney. On a pu le constater via les exemples de polémiques cités plus avant.

    Médias et terrorisme entretiennent donc une relation symbiotique dans laquelle les deux parties tirent bénéfices. Les terroristes arrivent à transmettre leurs messages tout en offrant aux télévisions et journaux des sujets qui captivent le public au plus haut point. On a pu encore l’observer lors des attentats de Charlie Hebdo.

    Cette interdépendance a évolué au fil des années, des changements sociaux et des innovations technologiques. Dans un contexte de crises profondes dans le paysage médiatique traditionnel, les nouveaux médias viennent concurrencer leurs prédécesseurs. Une nouvelle donne qui a vu la presse et la télévision principalement perdre de leur influence au profit d’internet. Des nouveaux médias qui permettent plus de liberté (avec ses avantages et ses inconvénients) à l’utilisateur qui est le générateur de contenus. Et cela s’est vérifié lors des attentats du 7 janvier où les premières images et messages sur la tuerie à Charlie Hebdo ont été diffusés par des particuliers munis de smartphones.

    Cette décentralisation du pouvoir médiatique profite également aux terroristes. Les dernières publications des vidéos de décapitations d’otages ou le recrutement via leurs réseaux sociaux en sont des conséquences. Les mises en scène des décapitations par les membres de Daech, comme celle du pilote Jordanien, Moaz al-Kassasbeh, dignes d’Hollywood, démontrent que le terrorisme d’aujourd’hui s’est parfaitement adapté aux processus de communication actuels qu’il contrôle désormais. De plus, les groupes facilement identifiables auparavant se sont réduit et se sont mélangés, devenant très difficiles à cerner. Par exemple, les frères Kouachi ont agit au nom d’AQAP, et Amedy Coulibaly, au nom de l’Etat islamique.

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    Une jeune fille brandit ce message durant un rassemblement de la communauté musulmane de Madrid devant la gare d’Atocha, 11 janvier 2015. Reuters

    Quant au traitement médiatique de la question musulmane, depuis les attentats du 11 septembre les journalistes en général n’ont cessé de pointer du doigt les communautés musulmanes sans distinction. Or des musulmans de France ne vivent pas les mêmes réalités que des musulmans d’Angleterre, d’Égypte ou d’Indonésie, même si ils ont en commun leur foi. En couvrant ces événements, certains journalistes ont également montré une connaissance limitée voire erronée de cette communauté qui fatiguée s’est détournée des médias. Ce qui profite également aux terroristes qui récupèrent cette frustration via leurs propres chaînes et réseaux. De plus, beaucoup de médias dans les pays occidentaux concernés par des attentats djihadistes ont eu tendance à minimiser les implications militaires de leur nation respective en terres musulmanes. Une autre source significative de radicalisation chez les jeunes natifs de culture islamiste. L’ancien ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, a abordé ce sujet au lendemain des attentats de Paris. Il s’était déjà illustré comme un fervent opposant à l’intervention américaine en Irak avant d’avoir épuisé toutes les voies diplomatiques devant le Conseil de sécurité des Nations unies en 2003. Il avait prédit les nouveaux conflits qu’entraînerait une guerre en Irak et auxquels certains pays musulmans et occidentaux font face.

    Par ailleurs, l’extrémisme de certains musulmans représente un grave problème tant pour l’islam que pour les sociétés occidentales dans lesquelles il est désormais présent. Pour mieux répondre à cette difficulté, ces mêmes nations devraient arrêter de se dédouaner de leurs responsabilités. Les musulmans, eux, ont été forcés de se remettre en question, voire de se justifier suite aux attentats djihadistes en Europe et ailleurs depuis 2001. Ces questionnements ont abouti sur des initiatives dont l’une des plus ambitieuses est incarnée par le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique (CILE) qui se propose de répondre aux besoins de réformes profondes de l’islam. Basé au Qatar, l’un de ses codirecteur est le professeur d’Études islamiques à Oxford (entre autres fonctions), Tariq Ramadan. Il y a pour le Professeur Ramadan et les autres membres de ce centre une nécessité d’adapter l’islam aux défis contemporains. Cette remise en question des fondements mêmes de cette religion doit passer par la méthode scientifique et la réinterprétation des textes du Coran proprement dite. Des lectures dont la mise en pratique s’adapterait au contexte culturel (un islam américain, français, anglais, etc).

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    Dr. Jonathan Brown, spécialiste de la civilisation islamique à la School of Foreign Service de Georgetown, expose les problèmes de leadership dans la religion musulmane lors de la 3ème Conférence International du Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Ethique (CILE), 13 et 14 mars 2015, Bruxelles, CILE

    Lors de la 3ème Conférence internationale organisée par le CILE à Bruxelles, les 14 et 15 mars derniers, M. Ramadan a évoqué avec d’autres spécialistes la grave crise de représentation d’autorités aujourd’hui multiples, certaines sans réel fondement. Il a également souligné que les croyants d’Occident ne doivent plus être les bouc-émissaires des autorités locales. Trop souvent après des attentats djihadistes, des responsables politiques et des médias ont pointé du doigt cette communauté sans évoquer leurs implications militaire et politique au Moyen et au Proche-Orient.

    Finalement, peu importe le type de terrorisme, les médias auront toujours à relayer ces événements qui impliquent souvent des vies humaines et perturbent l’ordre social. Mais l’urgence et le chaos engendrés par ces actes traumatisants pour toute société ne permettent pas toujours le recul suffisant pour prendre de bonnes décisions. Les mêmes errements médiatiques se sont répétés à plusieurs décennies d’intervalle, comme la diffusion en direct des interventions des forces de l’ordre à Munich (1972) et à Paris (2015). Seule l’expérience, la réactivité et la réflexion, peuvent faire la différence dans des conditions d’extrêmes tensions auxquelles s’ajoutent une féroce concurrence entre les médias. Au point, d’en oublier les principes de la profession pour de l’audimat, ce qui est évidement critiquable. Un autre endroit de critique est le traitement biaisé et souvent erroné que font beaucoup médias des communautés musulmanes depuis 2001.

    Je citerai pour finir Jean Baudrillard (1929-2007), sociologue, linguiste et philosophe français spécialiste de la question du terrorisme et des médias :

    « N’importe quelle tuerie leur serait pardonnée (aux terroristes), si elle avait un sens, si elle pouvait s’interpréter comme violence historique – tel est l’axiome moral de la bonne violence. N’importe quelle violence leur serait pardonnée, si elle n’était pas relayée par les médias (« Le terrorisme ne serait rien sans les médias »). Mais tout cela est illusoire. Il n’y a pas de bon usage des médias, les médias font partie de l’événement, ils font partie de la terreur, et ils jouent dans l’un ou l’autre sens. »

    Jean Baudrillard, « L’esprit du terrorisme » , Le Monde, 06/03/2007.

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